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Va-t-on s’ennuyer à en mourir si l’on devient immortel ?

Publié le28-10-2015

L’immortalité : l’idée inquiète, fascine et passionne les pauvres mortels que nous sommes, notamment au cinéma et dans la littérature. Vampires, scientifiques, personnages célèbres ressuscités… Tous ont été couchés à l’écran ou sur papier par des artistes désireux d’interroger l’idée de la vie éternelle. Aujourd’hui encore, à part pour quelques transhumanistes milliardaires, l’idée de vivre éternellement fait même carrément flipper. Et si on imaginait à quoi ressemblait une société d’immortels ?

Comment faire pour vivre dans une société où le temps ne passe plus, mais où il s’accumule ? Où il n’y a plus rien à attendre, et pourtant, rien d’autre à faire qu’attendre… L’enjeu existentiel des deux vampires d’Only lovers left alive, héros immortels du dernier chef-d’œuvre en date du réalisateur Jim Jarmusch, capture l’essence de ce qu’est l’immortalité. Traversant les époques sans prendre une ride, les deux personnages du film sont confrontés sans cesse à la lassitude d’exister. Fatigué par le comportement des êtres humains apeurés par leur propre finitude, l’un d’eux envisage même de se suicider. « Comment ne pas avoir peur de ceci ? » lui répond alors son acolyte en pointant du doigt le pistolet.

Loin de voir la fin de la vie comme une tragédie, nous avons tendance, ces derniers temps, à penser que la vie perdrait tout son sens si on lui enlevait sa fin. Une angoisse cinématographique qui trouve son prolongement dans la société civile. Selon une récente étude du Pew Research Center, 60% des Américains ne voudraient pas s’éterniser jusqu’à plus de 90 ans ! Mais pourquoi ?


Une société de vieux

Didier Coeurnelle, auteur du livre « Et si on arrêtait de vieillir ?« , voit les choses différemment. Pour lui, il y a peu d’intérêt à parler d’immortalité, pour la simple et bonne raison que c’est impossible : il existera toujours des êtres humains qui décéderont par accident. Il faut donc préférer le terme « amortalité » : le fait de ne plus mourir de maladies liées au vieillissement, qui sont aujourd’hui les principales causes de décès dans le monde (les maladies cardiovasculaires, les cancers, et les maladies dégénératives représentent 70% des décès, nous dit-il).

« S’il n’y a pas de bouleversement écologique, économique ou politique, on va arriver à l’allongement de la durée de vie. Ce n’est pas inéluctable mais presque certain. Sans chercher à atteindre l’immortalité, nous souhaitons des progrès médicaux qui permettent de vivre sans limitation de durée », explique le co-président de Heales (Healthy Life Extension Society). Un monde de « presque immortels », donc. Et des conséquences majeures sur notre rapport au monde.

« Si demain, on trouve la pilule de l’immortalité, je vois deux conséquences majeures. Tout d’abord, les gens se préoccuperont beaucoup plus du futur à long terme et des générations suivantes, et donc ils feront beaucoup plus attention aux problèmes environnementaux », répond-il. « Deuxièmement, les humains vont se dire qu’il n’y a plus d’urgence à avoir d’enfants et donc cela va entraîner une très nette diminution de la natalité ».

« Il souhaite l’immortalité alors qu’il s’ennuie déjà un dimanche après-midi »

Immortels, nous serions donc plus vieux mais en meilleure santé, et plus écolos. Beau programme ! Mais réussira-t-on à garder un sens à notre vie, alors que celle-ci pourrait s’étendre jusqu’à – presque – l’infini ? « Il y a une romancière britannique qui écrivait, semi-ironique : « Il souhaite l’immortalité alors qu’il s’ennuie déjà un dimanche après-midi », sourit Didier Coeurnelle. Certains animaux ont conscience de l’approche de leur mort, mais l’être humain est le seul être qui a conscience de la finitude de sa vie. C’est insoutenable ! Que fait l’être humain avec quelque chose d’insoutenable ? Il le transforme en quelque chose de souhaitable, porté par sa capacité extraordinaire à se raconter des histoires… ».

Toutefois, des doutes subsistent quant à cet eldorado de la vie en continu. Les individus auraient-ils une capacité égale, suivant leur situation économique, sociale ou géographique, à accéder à ces améliorations biotechnologiques ? Il est permis d’en douter, quand on voit aujourd’hui le prix délirant à payer pour se faire cryogéniser (la cryogénie est cette fameuse méthode de conservation dans des basses températures qui nous permettrait un beau jour de ramener à la vie des corps congelés). Reportage sur la cryogénie


Immortalité = inégalités ?

Et si jamais l’immortalité bénéficie à certains et pas à d’autres, cela n’irait-il pas à l’encontre de l’idée d’une condition humaine commune, fondement de notre droit commun ? C’est en tout cas ce que craint le Comité consultatif national d’éthique français, qui affirme dans un de ses rapports annuels : « Cela met à mal l’idée d’égalité des chances et de réussite à l’échelle de chaque citoyen, et comporte un risque d’émergence d’une classe sociale “améliorée” contribuant gravement à aggraver l’écart entre riches et pauvres ».

Un constat qui nous amène à dessiner un futur scindé en deux, comme le fait Kevin Kelly, co-fondateur du magazine de technologies Wired, dans une interview donnée à Philosophie Magazine : « Je fais l’hypothèse que l’évolution de notre espèce va se séparer en plusieurs branches, sous l’action du technium. Vous connaissez les Amish, qui en sont restés aux technologies du XVIIe siècle ? Ce phénomène va se multiplier. Si bien qu’il y aura des humains semblables à ceux que nous connaissons aujourd’hui, mais aussi des humains modifiés génétiquement, des hybrides ». Et il s’agira alors de se demander, tels les vampires d’Only lovers left alive, s’il est possible de vivre sans partager le même monde que ses contemporains…

 

Usbek & Rica

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