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Le care vu par 4 intervenantes à domicile

Publié le04-06-2015

Au Congrès du domicile à Tours, organisé par l’UNA (Union nationale de l’aide à domicile), une table ronde s’est penchée sur le « prendre soin », et la façon dont les théories du Care correspondaient ou non au vécu quotidien des intervenants à domicile. Quatre auxiliaires de vie sociale, aides à domicile ou assistantes de soins étaient présentes pour en discuter. Marie-José Coquelin, Sophie Jaegle, Aliette Allondi-Pondo et Carole Vie ont répondu à nos questions sur le Care, dont on peut dire qu’elles sont de véritables expertes. Rencontre.

 

Un travail au cœur du Care, qui demande des compétences particulières : adaptation, écoute, humanité

Pour  les quatre auxiliaires de vie de l’association ASSAD-HAD Touraine, il faut développer avant tout des qualités humaines pour s’adapter au mieux au besoin de la personne aidée. En premier lieu l’écoute. « On a toutes appris à développer nos capacités d’observation de manière à agir et déterminer les besoins qui ne sont pas forcément identifiables d’emblée, explique Marie-José. C’est un besoin qui évolue, souligne Aliette, « ce que la personne aidée voulait il y a un mois, elle peut ne plus le vouloir. Rien n’est figé, il faut avoir de l’empathie et une grande faculté d’adaptation ».


Ce que le Care apporte aux auxiliaires de vie

Lors de la table ronde du Congrès, la nécessité d’un Care qui s’exerce aussi envers les personnes qui aident, a été largement évoquée. Une réciprocité qui compte, selon les quatre intervenantes. Marie-José : « Je reçois beaucoup. Lorsque j’arrive chez quelqu’un que je ne connais pas, je vais chercher « le truc » pour rentrer en relation ». Et cela peut donner de belles histoires et de beaux souvenirs : « Un couple dont je m’occupais avait tout le temps une relation conflictuelle. Ils ne pouvaient vivre l’un sans l’autre mais ne pouvaient pas se supporter. C’est assez délicat d’intervenir dans ce genre de domicile. Un jour j’ai eu l’idée de leur demander s’ils avaient connu la culture du tabac pendant la guerre, et c’était le cas. Pour la première fois, je les ai vus parler d’une seule voix, je les ai entendus être d’accord. C’était tellement émouvant. Cela m’a apporté de la joie. A ce moment-là ils ont pris soin de moi ».


Différence avec l’aide du proche : neutralité bienveillante

Aider une personne vulnérable, c’est souvent aussi côtoyer les aidants proches. Comment chacun trouve-t-il sa place ? Pour  Carole, « c’est forcément différent que lorsqu’on vit tout le temps avec la personne. On n’est là qu’un petit moment dans la journée, avec nos compétences, et pour une aide précise ». « On reste une intervenante extérieure », ajoute Sophie.
Un petit moment qui permet de conserver une juste place, explique Marie-José : « Il y a cette neutralité qui fait que souvent, il est plus facile pour la personne aidée de me parler de certaines choses qu’au proche, car nous ne sommes pas dans le jugement. Nous sommes dans l’accompagnement ».


Le Care : « naturel » ou professionnel ?

« On ne peut pas dissocier les deux, c’est complémentaire », explique Carole. Les quatre femmes pensent qu’il faut savoir à la fois se servir de ce qu’on a appris dans la formation, et s’en détacher quand c’est nécessaire, pour être au plus près du besoin de la personne aidée.
« Nos compétences qui viennent de nos formations sont là aussi pour protéger », précise Marie-José. « Il m’est arrivé, pour ne pas craquer dans une situation difficile, de me dire « n’oublie pas, tu es une professionnelle, rappelle-toi de ce que tu as appris. Prends du recul ». Et là, c’est merci la formation ! ». En revanche il est une partie de la façon dont le métier est organisé qui ne leur semble pas pertinente, et qui fait obstacle au Care : le morcellement du temps et les quotas horaires. Aliette l’explique : « par exemple, avec les personnes qui souffrent de pathologies Alzheimer : elles n’ont plus la notion du temps et on nous demande de comptabiliser le temps ». Ce n’est pas cohérent, cela ne fonctionne pas et peut s’apparenter à de la maltraitance, estiment-elles. « Quand vous avez 30 minutes pour emmener quelqu’un pour faire une toilette, se mettre en pyjama, manger une soupe, un yaourt, le lavage des dents et appareil dentaire,  puis la mettre au lit, et fermer la porte… Là, il ne peut rien se passer dans la relation », dit Sophie.
Car le Care est souvent invisible, et se fait obstacle à lui-même, comme l’explique bien Aliette :
« la société n’adhère pas au Care parce que ce n’est pas quelque chose de comptable. Un pansement, c’est visible, alors que le Care ne se voit pas. C’est une façon d’être, de penser, d’agir. On ne peut pas le palper ».


Valoriser les métiers du Care

Ayant découvert les principes éthiques du Care à l’occasion du Congrès, les quatre auxiliaires de vie espèrent néanmoins qu’ils vont les aider à rendre leur métier plus visible et mieux valorisé. Pour Sophie, il faut pour y réussir pour que le Care ne se limite pas au point de vue de la personne aidée. « Il y a un effet miroir, il faut que le Care effectue un retour sur la personne qui aide », estime-t-elle. Aliette pense, elle, qu’il faut « faire proliférer les valeurs du Care pour faire reconnaître que même si on n’a pas bac+15, ce qu’on fait aujourd’hui a une grande valeur pour la société ». Et toutes les quatre sont d’accord : c’est d’abord à elles de prendre la parole et de se lever pour faire reconnaître cette valeur.


Une société plus Care passe par un changement de regard  sur le vieillissement

Pour Marie-José, c’est indéniable, la société doit changer de regard : « On est tous des vieux potentiels, explique-t-elle. On est tous au même niveau face au vieillissement, alors il faut le regarder différemment ». Et elle constate au jour le jour  à quel point c’est dur, souvent, pour les très vieilles personnes, qui n’ont pas forcément d’enfants à proximité. « Elles ont perdu tous leurs proches. Il y a une sorte de fracture sociale qui s’opère. L’isolement des personnes âgées, c’est terrible ».

Pour autant, elles pensent qu’il faut absolument reconnaître la personne âgée comme une personne qui a encore des choses à vivre. Aujourd’hui, estime Carole « On leur coupe tous leurs moyens ». Marie-José précise : « les personnes qui ont 50, 60, 70 ans de vie derrière elles sont une véritable richesse, et on leur dit qu’elles ne sont plus rien. C’est aberrant. On marche sur la tête ».
Pour Sophie, la société doit aussi changer en reconnaissant que « jeunesse et vieillesse sont complémentaires. Il faut arrêter les conflits intergénérationnels », dit-elle.


Aider à voir ce qui va, jusqu’au dernier souffle

Elles ont également cette vision du Care qui fait se concentrer sur les capacités persistantes des personnes fragiles. Ainsi, pour Marie-José : « ce qu’on entend la plupart du temps des personnes, c’est je ne peux plus faire… Il faudrait essayer d’inverser les choses. Oui, vous ne pouvez plus faire ça, mais qu’est-ce que vous pouvez faire d’autre ? ».
Aliette va plus loin : «  Il est très important de voir ce qui va bien chez quelqu’un. Si on arrive à faire voir aux gens qu’ils ne sont pas que leur maladie, si on leur dit oui, vous avez tel problème, mais vous pouvez faire ça, continuer à  faire, peut-être différemment, alors on fera avancer les choses ».
Pour  Marie-José, si les auxiliaires de vie sont aux premières loges pour promouvoir cette façon de voir, elles ne peuvent tout faire seules : « Seules, on n’y arrivera pas. Avec une heure d’intervention par jour, ce n’est pas comme ça qu’on va redonner le moral et l’envie à la personne. C’est toute la société qui doit changer », conclut-elle.

Propos recueillis par Sandrine Goldschmidt

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