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P. H. Tavoillot : « il y a un dynamisme très fort pour inventer la vieillesse de demain »

Publié le25-02-2016

Pierre-Henri Tavoillot est philosophe, spécialiste des questions de la vieillesse et du vieillissement. Pour lui, puiser dans les textes des Anciens sur le sujet peut nous aider à bâtir l’avenir du vieillissement. Un avenir riche en idées et innovations, destinées à nous faire vieillir en meilleure santé, mais aussi et surtout mieux « en lien ».

 

G. C. : Vivons-nous dans une époque qui dévalorise la vieillesse ?

P. H. T. : La controverse « vieillir pour ou contre », ça fait longtemps qu’on en parle. Il y a de très anciennes querelles philosophiques sur la question, et cela fait longtemps que l’humanité vieillit. Il me semble plus intéressant d’identifier ce qu’il y a de novateur dans la façon dont nous abordons la vieillesse aujourd’hui.

 

G. C. : Qu’est-ce qui est donc nouveau dans le vieillissement actuel ?

P. H. T. : La vieillesse est devenue une période presque certaine pour tout le monde, et la période que couvre la vieillesse elle-même, s’est élargie et allongée. Il y a désormais 3 vieillesses : celle, nouvelle, où l’on est âgé sans être vieux, ce qu’on appelle les seniors. C’est une période d’existence vraiment gagnée sur la mort, dans des conditions de santé très favorables et avec un niveau de vie pour l’instant assez conséquent. On peut un peu y rattraper le temps perdu dans la vie professionnelle.

Une deuxième vieillesse, plus classique, qui était celle qui prête à débat : elle est marquée par les syndromes du  « rétrécissement» et du « glissement ». Le rétrécissement, c’est quand le monde, du fait des ennuis physiques, semble se réduire autour de soi. Le glissement, c’est la difficulté à remonter la pente en cas de coup dur, quand on a ce sentiment qu’on ne progresse plus et qu’on s’enfonce.

La troisième période, vue de façon très négative, est la vieillesse dite dépendante. C’est l’âge de la vie où on ne peut pas se débrouiller tout seul et qui jusque-là était extrêmement rare.

 

G. C. : Les baby-boomers changent-ils la donne ?

P. H. T. : Les vieux ont été surpris de vivre si longtemps et de vivre souvent seuls. Autrefois la vieillesse était moins longue et mieux accompagnée des solidarités familiales. Cela a produit un effet de sidération. Probablement à l’avenir, cette surprise se sera estompée. On anticipera mieux.

Les baby-boomers, eux, ne sont pas dans la sidération, ils sont prévenus. Ce qui est intéressant dans le domaine économique et social de la vieillesse, c’est l’extraordinaire inventivité. Il y a une innovation très importante dans le domaine dit de la Silver Economie. Il y a un dynamisme très fort pour cette invention de la vieillesse de demain. La grande erreur serait de mettre en place des politiques pour la vieillesse de demain en fonction de la vieillesse d’aujourd’hui, alors qu’il est très probable qu’elle sera différente.

 

G. C. : Quelles sont les clés pour une bonne anticipation ?

P. H.T. : Nous ne devons pas nous dire que bien vieillir c’est rester jeune : on ne reste pas jeune quand on est vieux. En revanche, bien vieillir, c’est rester adulte. Rester à la fois lucide, autant que possible maître de son destin, sans illusion de toute puissance, et d’avoir plutôt comme objectif de garder ce point de vue adulte sur la vie plutôt qu’une illusion jeuniste.

 

G. C. : Mais est-ce que demain la vieillesse ne va pas disparaître, avec les nouvelles technologies et le transhumanisme ?

P. H.T. : La vieillesse fait partie des expériences nécessaires à la vie des individus. Il ne me semble pas qu’il y ait un déni de la vieillesse chez mes contemporains, et pour une raison simple : on a envie de progresser, de changer d’expérience dans la vie. Or, vieillir, c’est une expérience qui a son côté positif. Etre un adolescent boutonneux n’est pas non plus génial. Remonter ou régresser dans le temps n’est pas non plus formidable.

Quant au transhumanisme, il recouvre deux types de logiques très différentes : une logique de dénégation de toutes les limites de la condition humaine. C’est la version hard. La version soft c’est de se dire : si on a l’occasion, grâce à un peu de technologie, de vieillir plus confortablement en meilleure santé et d’avoir moins de problèmes, pourquoi s’en priver ?
La version hard me paraît délirante, la version soft me paraît très intéressante.

 

G. C. : En quoi l’intergénérationnel peut-il favoriser le bien vieillir demain ?

P. H.T. : Il faut être très vigilant sur ce qu’on appelle l’intergénérationnel. Parfois c’est seulement la juxtaposition des générations, sans réflexion. On met une maison de retraite à côté d’une maternelle et on regarde ce que ça donne. En général cela produit des choses qui n’ont guère de sens ; vieux et jeunes n’ont pas le même rythme.
En revanche, l’intergénérationnel se construit quand il y a du lien et qu’on a le sentiment que tout le monde est acteur. Ce n’est pas un lien entre une génération assistée et une génération assistante, mais entre deux générations qui sont dans un rapport réciproque. Des relations de donnant-donnant.

 

G. C. : Au fond, bien vieillir demain, ce serait rester adulte, acteur de sa vie jusqu’au bout ?

P. H.T. : C’est vraiment rester en lien, mais sans injonction à l’autonomie. C’est se dire que s’il y a une chose à protéger dans notre monde d’aujourd’hui, et à étayer, ce n’est pas forcément la santé, mais le lien. C’est ça qui donne sens à la santé. Or, on fonctionne plutôt à l’envers. On regarde la santé sans se préoccuper du reste. Notre traitement de la vieillesse tend à prendre une coloration très sanitaire. Les maisons de retraite ressemblent à des hôpitaux alors que ce sont des maisons. Essayons de faire l’inverse et de remettre de l’existentiel dans ces dimensions, même si c’est moins facile. Si on cherche tellement à soigner c’est parce qu’on ne sait pas suffisamment aimer et être dans le lien.

 

G. C. : Que pensez-vous du mot d’ordre de notre « JAM » : « dans un monde qui change, vieillir est un futur à inventer » ?

P. H.T. : Oui, vieillir est un futur à inventer. Mais il ne faut pas non plus se couper du passé. Ça fait longtemps que l’humanité vieillit et elle a une certaine expérience en la matière qu’il ne faut pas négliger. Pour bien vieillir demain, on a beaucoup à puiser dans la réflexion philosophique occidentale ou orientale sur le vieillissement.

 

Propos recueillis par Sandrine Goldschmidt

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