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Michel Billé : « réenchanter la vieillesse »

Publié le12-01-2016

Michel Billé est sociologue, spécialiste de l’avancée en âge. Il a écrit « La société malade d’Alzheimer », et co-écrit « Réenchanter la vieillesse » et « La tyrannie du bien vieillir ». Dans tous ces ouvrages, on retrouve le souci de réhabiliter la vieillesse, en démontrant que c’est une chance, même quand, ou plutôt surtout quand on ne « vieillit » pas jeune.

 

Génération Care : Vous dites qu’il faut réenchanter la vieillesse : en quoi est-elle désenchantée ?

Michel Billé : Les discours tenus sur la vieillesse sont tels que nous en arrivons à la considérer comme quelque chose de douloureux, comme une épreuve, alors que, comme disait Michel Philibert, pionnier de la gérontologie : « demain je serai un peu plus vieux ou je serai mort ». Rien que d’affirmer cela devrait suffire à poser un regard a priori positif sur la vieillesse.

 


G. C. : Pour vous, la société élabore un discours négatif autour de 3 grands thèmes : la vieillesse-problème, la vieillesse-maladie et la vieillesse-délit.

M. B. : Partout, on entend parler du « problème du vieillissement de la population ». A force d’y avoir porté une attention presque exclusivement économique, on la regarde comme quelque chose qui va coûter cher. On confond la vieillesse avec les problèmes qu’elle pose.

La vieillesse est de plus en plus vue comme une maladie dont le spécialiste est devenu le médecin gériatre. Enfin, nous avons aussi fait de la vieillesse un délit dont se rendent coupables les vieux qui n’ont pas l’élégance de quitter la scène avant de coûter à la société. Ce discours est incroyablement culpabilisant. Au lieu de se réjouir, une dame de 93 ans me disait récemment, des larmes dans les yeux : « que voulez-vous, ce n’est quand même pas de ma faute si je ne suis pas encore morte » !

 

G. C. : La vieillesse ne coûte donc pas cher ?

M. B. : Au lieu de construire ce discours à courte vue sur le coût, on devrait regarder cette dépense comme un formidable investissement, dont notre société a tellement besoin, notamment parce qu’il est créateur d’emplois, en plus d’être créateur d’échanges affectifs, culturels, de toutes sortes. Voilà de quoi refonder une solidarité entre les générations, solidarité même économique, et un lien intergénérationnel fécond pour la société toute entière.

 

G. C. : Alors, comment réenchanter la vieillesse ?

M. B. : Sur cette base-là, il y a de quoi rompre avec discours désenchanté et désenchanteur, et affirmer que vieillir est une chance, personnelle et collective. Personnelle parce que vieillir c’est vivre, et que vivre c’est encore la meilleure des choses qui puisse nous arriver. Même s’il y a des difficultés, il y en a à tout âge, comme toutes les difficultés, on les éprouve, mais on peut aussi vivre avec, et les dépasser. Ensuite, ce qui nous donne des satisfactions, c’est la rencontre avec autrui, avoir des échanges affectifs, relationnels, avec les autres, proches, moins proches. C’est ça qui nous donne des raisons de vivre et qu’il faut favoriser.

Mais il faut aussi que nous acceptions de vieillir, et ne cédions pas à l’injonction effrayante qui dit, en permanence et de manière multiple : « vous avez le droit de vieillir, à condition de rester jeune ». Cette absurdité-là, il nous faut la dénoncer partout. J’ai le droit de vieillir ET de devenir vieux. Tout le discours sur la médecine anti-âge est scandaleux.

Vieillir et rester en forme, oui ! Que la médecine m’aide jusqu’au bout de l’âge à rester en forme, d’accord, mais certainement pas à rester jeune.

 

G. C. : Au-delà de l’âge, n’est-ce pas la vie entière qui est à réinventer ?

M. B. : Ce n’est pas qu’une question d’âge, mais pourtant c’en est une. Je ne parviens pas à dire comme Brassens que « l’âge ne fait rien à l’affaire ». Pour se donner quelque chance de réenchanter ou de maintenir une joie, un plaisir à vieillir, il nous faut regarder la vieillesse comme une nouvelle occasion dans nos vies de remanier le rapport que nous entretenons avec le monde, avec les autres et avec nous-mêmes, notre rapport à la voiture, à l’argent, à la nature…

 

G. C. : Lors du « JAM »* que nous avons organisé, nos baby-boomers ont souligné qu’ils souhaitaient profiter de leur retraite pour se sentir plus libres. La vieillesse n’est-elle pas alors une chance d’avoir enfin un peu de liberté, de maîtrise de son temps et de sa vie ?

M. B. : Dans ce rapport au monde, il y a une formidable transformation du rapport au temps. En vieillissant, le temps nous appartient un peu plus, alors même qu’on a paradoxalement l’impression qu’il passe de plus en plus vite. Parce que je regarde ma vie comme une période éphémère, qui ne durera pas très longtemps, je peux me mettre dans une disposition d’esprit qui m’invite à en jouir davantage, surtout si un environnement, un entourage familial, amical, m’invite à investir ce temps qu’il m’est donné de vivre encore.

 

G. C. : Que pensez-vous du mot d’ordre de cet événement que nous avons organisé** ? Vieillir est-il à inventer ?

M. B. : Cela m’inspire la liberté, enfin ! L’indignation dont nous parlait Stéphane Hessel, et la liberté. Aujourd’hui, moi qui ai presque 70 ans, je peux enfin m’exprimer librement. Il n’y aura pas un patron pour venir me dire ce que j’ai à dire et me dire de taire ce qu’il faut taire. C’est l’occasion d’une formidable expérience de la liberté de parole, de penser, d’action.
Un futur à inventer, je dis la même chose quand je parle du remaniement du rapport au monde. Prenons la voiture, par exemple : le moment est venu pour moi de réinventer mon rapport à l’automobile. Non pas que je n’ai plus envie de conduire. Mais je n’ai plus envie de conduire, toujours plus vite, une voiture toujours plus rapide, toujours plus rouge, toujours plus phallique. Je m’en moque. L’intérêt, c’est une voiture plutôt confortable. J’ai maintenant le temps de me poser la question : est-ce que la voiture est le bon moyen pour moi, quand je vais aller au marché, est-ce que ce n’est pas plus intelligent de prendre le bus, est-ce que ce n’est pas plus économique, moins polluant ?

 

G. C. : Dans le réenchantement de la vieillesse, il y aurait donc quelque chose qui est bénéfique à l’ensemble de la société ?

M. B. : Vieillir, c’est l’occasion de prendre une longueur d’avance sur toutes ces questions de la transformation de notre façon d’appréhender la société. Nous les vieux, nous pouvons ouvrir ces questions. Faisons-le, et on rendra service aux autres. C’est formidable, il y a de quoi donner du sens à notre vieillesse. Ce sont aussi des sujets extraordinaires pour en parler entre générations, notamment entre les plus vieux et les plus jeunes, entre grands-parents et petits enfants.

L’intérêt de ce réenchantement de la vieillesse, c’est qu’à travers ce nouveau rapport au monde et aux autres, peut se construire une nouvelle image de soi, et d’avoir (j’emprunte l’expression au psychologue Winnicot), une « estime suffisante de soi » qui me permet d’aller suffisamment bien avec moi-même pour accepter cette avancée en âge.

 

Propos recueillis par Sandrine GOLDSCHMIDT

 

* JAM

**Dans un monde qui change, vieillir est un futur à inventer

Auteur de :
« La société malade d’Alzheimer » Ed. Eres. Mai 2014.
« Manifeste pour l’âge et la vie: réenchanter la vieillesse » avec C. Gallopin et J. Polard Ed. Eres.
« La chance de vieillir Essai de gérontologie sociale » Ed. L’Harmattan.
« La tyrannie du bien vieillir » avec D. Martz. Ed. Le Bord de l’eau.

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