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La guerre des générations n’aura pas lieu

Publié le01-07-2015

Voilà un cliché qui a la vie dure : il y aurait dans notre société un conflit, voire une guerre entre les générations. Une pseudo-évidence qui fait couler beaucoup d’encre… et attise une rivalité dont la réalité est loin de ce que les commentaires laissent entendre. La solidarité intergénérationnelle a encore de beaux jours devant elle.

Récemment, une chanson écrite pour « Les Enfoirés » par Jean-Jacques Goldman, chanteur intergénérationnel et personnalité préférée des Français en 2013, a semblé attiser la guerre des générations. Opposant des jeunes à des vieux qui auraient tout et ne donneraient rien, elle a beaucoup fait réagir. De nombreuses voix se sont élevées pour dire que cette vision schématique des relations entre les jeunes et leurs aînés était caricaturale. D’autres ont souligné à cette occasion que la solidarité entre les générations existait bel et bien. Alors, guerre des générations ou solidarité intergénérationnelle persistante, qui a raison ?
Il y a bien une évolution dans les années récentes du statut et du rapport entre les générations, et le  « contrat des générations » tel qu’il a été pensé à l’issue de la seconde guerre mondiale a vécu, mais la solidarité intergénérationnelle n’a pas dit son dernier mot. Elle prend même de nouvelles formes et est promesse d’avenir.

Un rapport actifs/retraités qui baisse
Une génération, c’est une façon de regrouper des personnes nées au même moment, et qui auraient donc en commun une « appartenance » à leur époque, qui créerait des conditions communes de leur rapport au monde. Alors que traditionnellement on avait tendance à estimer que 3 générations vivaient en même temps, aujourd’hui il y a en a plutôt 4, voire 5. Jusqu’à récemment, les actifs constituaient une large majorité, ce qui a permis de dessiner un « pacte intergénérationnel » fondé sur un principe simple : les actifs cotisaient pour la retraite de leurs parents, en tablant sur le fait que ce serait un jour à leur tour d’en bénéficier… On était alors dans un rapport d’au moins 4 actifs pour 1 retraité. Or aujourd’hui, l’accroissement de la longévité et l’augmentation très forte du nombre de retraités (les plus de 60 ans seront un tiers de la population en 2030 en France), change radicalement la donne. Le rapport actif/retraité est déjà de moins de 2 pour 1. En outre, aujourd’hui les vieux « coûtent plus cher ». En effet, ils sont et de loin les plus gros consommateurs de dépenses sociales, qui représentent le tiers des dépenses publiques.

Ainsi, les jeunes ont moins l’espoir d’être à leur tour bénéficiaires de la solidarité nationale. Pour Jean-Hervé Lorenzi (économiste et fondateur de la chaire TDTE, Transition démographique, transition économique), il y a des « signes forts de rupture de traitement entre les générations ». Quant à la génération du milieu, dite « génération-pivot », c’est celle qui assume l’aide aux enfants et l’aide aux plus âgés lorsqu’ils ou elles sont en perte d’autonomie. Par ailleurs c’est plutôt, semble-t-il, au sein de la cohorte des actifs que les tensions intergénérationnelles sont les plus fortes, dans le cadre du travail, où d’un côté, les jeunes souffrent d’un chômage plus élevé que jamais, alors que les seniors ont du mal à rester en emploi.

Pas de conflit des générations, sauf au travail ?
Parallèlement, arrive à l’âge de la retraite une génération, celle des baby-boomers, qui a capté une grande partie du patrimoine et bénéficie d’une « vague montante qui se brise derrière elle », dit le sociologue Louis Chauvel. Dans ce contexte, on pourrait imaginer que les jeunes ne « veulent plus payer pour les vieux », d’autant plus qu’ils n’ont pas forcément la perspective de bénéficier eux-mêmes de cette solidarité à l’avenir. Pourtant, la réalité est tout autre. Car si la solidarité nationale a baissé, la solidarité familiale, elle, est toujours là, notamment financièrement. Différents sondages en attestent. Ainsi, selon ce sondage IFOP de 2007, 90% des Français estiment la solidarité intergénérationnelle au sein de la famille comme « très importante », et parents et enfants affirment pouvoir beaucoup compter les uns sur les autres.

Qu’est-ce qui explique alors ce maintien du lien entre les générations ?
D’abord, parce que, comme le dit Jean-Hervé Lorenzi, « les générations ne sont pas homogènes. Il y a une dispersion des situations économiques au sein de celles-ci ». Et les inégalités au sein des générations peuvent être plus fortes qu’entre deux générations. Ainsi, on peut appartenir à une génération sans pour autant s’y identifier.  Et quand bien même les jeunes se considèreraient comme « génération sacrifiée », il semblerait qu’ils en veuillent plus aux institutions, ou aux « nantis », qu’à leurs aînés en tant que groupe ou génération.

Par ailleurs, les âges de la vie sont indissociables du lien familial. Pour le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, c’est très clair, il n’y aura pas de guerre des générations, pour plusieurs raisons : d’abord, « Les transferts financiers intergénérationnels n’ont jamais été aussi importants au sein des familles », dit-il. Ensuite, il souligne  la convergence des valeurs entre les générations, que ce soit dans leur conception du travail, de la famille, ou de ce qu’est une vie réussie.
En effet, la solidarité financière est forte : aujourd’hui, la solidarité financière privée et donc principalement familiale représente déjà 10% de la richesse nationale (PIB), selon la chaire TDTE. En outre, les grands-parents sont de plus en plus impliqués auprès des petits-enfants dans l’éducation et la vie quotidienne. Pour preuve, ils les gardent très souvent (40% des grands-parents gardent leurs petits-enfants régulièrement à l’échelle européenne, 11 % le font tous les jours, 7% en France).

L’intergénérationnel, vecteur de lien social
Enfin, si le contexte dans lequel évoluent les enfants d’aujourd’hui est très éloigné de celui de leurs grands-parents, les deux mondes peuvent et aiment se rencontrer, et cela dépasse de plus en plus le cadre de la famille. En témoigne le succès des initiatives intergénérationnelles, qui sont bénéfiques pour les âgés comme pour les jeunes. L’insertion scolaire de demain passe, pour beaucoup, par le développement de l’intergénérationnel. Et le maintien du lien social au grand âge est très fortement lié à la possibilité de « rester connecté avec d’autres générations, que ce soit grâce aux nouvelles technologies ou aux rencontres « dans la vraie vie ». La solidarité doit donc se développer et créer les ponts nécessaires pour que les uns ne soient pas relégués dans un monde qui n’est plus, et les autres perdus dans un monde nouveau qui n’aurait pas de lien avec son passé.

Sandrine GOLDSCHMIDT

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