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F. Guichet : « Le Care permet de repenser sa relation à l’autre »

Publié le12-02-2015

Franck Guichet est sociologue et travaille avec les associations d’aide à domicile et d’aide aux aidants. Il assure des formations pour les intervenants à domicile et accompagne les organisations dans leurs projets innovants : il participe notamment à une expérimentation dans le Doubs consistant à créer une équipe polyvalente et pluridisciplinaire d’intervenants à domicile. Il est convaincu que le Care peut permettre de valoriser les métiers de l’aide à domicile, et au-delà, d’ouvrir le champ des possibles pour chacun d’entre nous.

Génération Care : Comment définissez-vous le Care ?

Franck Guichet : Le Care est d’abord une attitude : dans la relation à l’autre c’est le fait d’être attentionné, d’avoir du tact, de faire preuve de finesse dans le jugement. Appliquée aux pratiques professionnelles dans l’aide à domicile, la perspective du Care interroge le regard que l’on porte sur une personne fragile. C’est une question éthique : comment l’aider et ne pas la forcer en lui imposant une solution qui ne serait pas la sienne, mais en lui permettant d’exprimer ce qu’elle souhaite.


G.C. : En quoi envisager ces activités sous l’angle du Care pourrait aider à mieux valoriser les métiers de l’aide à domicile et donc la bientraitance envers les personnes aidées ?

F. G. : Sur un plan social ou politique, la perspective du Care interroge ce que l’on reconnaît comme valeur à certaines activités plutôt qu’à d’autres. Elle questionne l’échelle des métiers, la hiérarchie des compétences, la grille des salaires, ou encore l’écart entre le tarif horaire et le coût réel des aides. Je travaille auprès d’associations qui paient très mal leur personnel, parce que les financeurs ne reconnaissent absolument pas la valeur de l’aide qu’il apporte.

G. C. : Est-ce que cette notion de Care peut contribuer à mieux faire reconnaître la valeur de ces aides à domicile ?

F. G. : Oui, je le pense, car elle permet de mieux comprendre les compétences que l’on qualifie de relationnelles ou de « savoir-être », et qu’il faut pouvoir adapter, ajuster, interpréter au plus près des singularités des personnes, à tel point que ça en devient une affaire hautement technique ! Le Care nous dit qu’il ne suffit pas d’une bonne intention ou d’aimer les personnes pour être dans la bientraitance, il faut aussi maîtriser ces compétences relationnelles. Mais pour l’instant, le Care reste un concept qui a été pensé théoriquement, et les professionnels ne s’en sont pas vraiment saisis ¹.

G. C. : Le Care permet-il un changement de regard ?

F. G. : En montrant à quel point il peut être complexe d’aider une personne à garder son autonomie et sa dignité, tout ce que cela demande comme attentions, tout ce que cela pose comme questions, et tout ce que cela suppose comme inventivité, alors oui, la perspective du Care pourrait faire changer le regard que l’on porte sur le secteur de l’aide à domicile, en particulier celui de ceux qui le financent. Il existe beaucoup de mépris sur les professionnels qui font ce métier, et cette notion de Care pourrait aider à déconstruire pas mal de préjugés.
Au-delà des activités médico-sociales, la perspective du Care interroge chacun d’entre nous sur l’effort d’attention que nous faisons à l’autre, ou pas. Qu’est-ce qui fait qu’on se sente, parfois, responsable d’une personne qui a besoin d’aide, et que, sans vraiment s’en rendre compte, on va s’engager et faire de plus en plus de choses pour elle, en allant parfois bien au-delà de ce que l’on souhaitait – ou imaginait – pouvoir faire ?

G. C. : Vous dites que la dimension éthique du Care se voit particulièrement chez les aidants. Pourquoi ?

F. G. : La perspective du Care ouvre un nouveau champ des possibles. Chez les aidants par exemple, il n’est pas rare de rencontrer des gens qui, à un moment de leur vie, se retrouvent à s’occuper d’un parent malade, et qui vont redécouvrir à cette occasion l’importance des activités de la vie quotidienne, comme la cuisine, les courses, le ménage, qui peuvent être le ciment d’une relation qui n’existerait pas autrement. L’expérience de prendre soin de quelqu’un qui compte sur nous, pousse au dépassement de soi, et c’est aussi sa façon de voir la vie et ses relations avec les autres qui change.

Propos recueillis par Sandrine GOLDSCHMIDT

¹ Cette question de la rencontre entre les théories du Care et les pratiques des professionnels de l’aide à domicile, fera l’objet d’une table ronde lors du congrès du domicile organisé par l’UNA les 9 et 10 avril prochains.

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